Jimmy Page - Bilan Page par Page
Guitarist Eté 2003 - Interview de Romain Decoret
Guitarist : Robert Plant et John Paul Jones reconnaissent tous les deux que tu es à l'origine de ce projet monumental. Comment est-ce arrivé ?
Jimmy Page : Au départ, il y a le fait que le seul document sur Led Zeppelin était le film The Song Remains The Same, sorti en 1976.
Lorsque Warner Bros m'a demandé l'autorisation de le rééditer en DVD, j'ai donné mon accord. Mais ils se sont contentés de transférer le film tel quel, sans me demander
si j'avais des inédits, que j'aurais pu leur fournir, comme Over The Hills And Far Away (NdZePablo : il ne se trouve pas non plus sur le DVD !).
Le pire est qu'ils n'ont pas compris que la bande son du film était en Dolby Surround Sound et ils l'ont simplement retranscrite en stéréo. le résultat
était vraiment frustrant, pas du tout au niveau de la qualité sonore que mérite notre musique. C'est à ce moment là que je me suis dit qu'il était temps de m'en
occuper moi même.
Qu'as tu fait après ce déclic ?
Les bobines du Royal Albert Hall 1969 étaient devenues des objets de collection. Les copies se vendaient assez cher et j'ai décidé de retrouver et de racheter les originaux.
Principalement parce que nous n'avions rien d'autre à ce moment là. Robert Plant et John Paul Jones pensaient qu'avec The Song Remains The Same et les bobines
du Royal Albert Hall il y avait assez de matériel pour un DVD. Mais je savais qu'en cherchant encore, il y aurait d'autres découvertes. Je me souvenais des shows TV de 1969, et des
concerts de Earl's Court 75 et Knebworth 79. J'avais quelques bobines chez moi, mais les autres étaient conservées dans des archives officielles, un batiment massif près de l'aéroport
de Londres, et elles avaient disparu. Heureusement, un fan de Zeppelin travaillait là-bas et il a tout retrouvé peu à peu. Les formats étaient différents, 35mm, Super 8, 16mm, il a fallu les
transférer et tu imagines le cauchemar qu'a vécu le réalisateur David Carruthers...
Tu as personnellement supervisé le remix du son en 5.1 ?
Oui. Sur plus de 5 heures de musique, quelques retouches s'imposaient. Particulièrement le son de la batterie de John Bonham. Sur Black Dog par exemple, les roulements
de batterie font le tour des haut-parleurs, je tenais à accentuer son jeu, à lui donner du relief. J'ai aussi travaillé sur le son de mon solo de slide sur What Is And What Should Never Be,
en amplifiant à la console le mouvement d'un h.p. à l'autre.
A ce propos, quel accordage utilisais-tu, à l'origine, pour ce solo de slide de What Is And What Should Never Be ?
Je le joue en accordage standard, surtout parce que la suite d'accords et des couplets serait impossible à jouer en open-tuning. Mais pour revenir au remix du son, je ne voulais pas non plus me
perdre dans la post-production avec une infinité de changements. J'en ai effectué quelques-uns, sur les parties de guitare acoustiques aussi, mais pas plus que ceux que je t'ai déjà cités.
Tu as été tenté de rejeter certaines de tes parties de guitare pour le DVD et le triple CD ?
Non. Il est évident que dans un concert de 3 heures, il y a des passages qui pourraient être amélioré, particulièrement pour la basse et les claviers, comme le suggérait John Paul Jones.
Cela pouvait sembler être une bonne idée, mais je savais que si nous nous engagions dans cette voie, nous n'en verrions plus la fin, il aurait été impossible de nous arrêter et le résultat
n'aurait jamais été satisfaisant de toute façon. Les interventions de chacun sont restées telles qu'elles étaient, avec l'inspiration du moment où nous avons joué. l'image sonore en 5.1 est
totalement fidèle à ce qui s'est passé pendant les concerts.
Tellement fidèle et améliorée qu'un sorcier de la production comme toi a sans doute envisagé la réédition du catalogue entier de Led Zeppelin en 5.1. Qu'en penses-tu ?
Ce serait intéressant. Mais quand je considère le travail nécessité pour le DVD, et le triple CD How The West Was Won, je me sens paralysé. Pour être honnête, il est très
difficile de mêler le monde de l'art à celui du business, cela peut vraiment se révéler fatiguant, et il faut que je recharge mes batteries avant de penser à un tel projet. Mais il est évident
que le home-cinéma ets beaucoup plus accessible aujourd'hui, et encore plus dans le futur. J'aimerais faire entrer nos albums dans cette dimension, mais il faut que cela soit fait
correctement.
Ce qui signifie que c'est toi qui devrait remixer ?
(Soupir). Oui, et tu imagines cela, arriver au studio pour remixer Led Zep I, II, III, ou IV, ou Physical Graffiti, remodeler des pans entiers du monument ! C'est un travail de titan, avec pas mal
de risques, et pas question de laisser quelq'un d'autre nous massacrer...
Il est vrai que tu es un producteur inégalé, le son des albums de Led Zeppelin le prouve. Tu es un pionnier du placement des micros pour enregistrer la guitare. Quel est ton concept ?
Il n'est plus nouveau aujourd'hui, mais pour moi, la distance est la profondeur. Je place toujours un micro devant l'ampli et plusieurs autres à 4 ou 5 mètres derrière et devant. Cela donne un son
ambient, le meilleur moyen de retranscrire en entier l'émotion du moment. C'est la raison pour laquelle les disques de Rock'N Roll des fifties sonnent comme s'ils avaient été enregistrés à une partie.
J'ai expérimenté cela quand j'étais musicien de séance avec Big Jim Sullivan...
Puisque nous y sommes, peux-tu clarifier ton rôle de session-man au début des sixties ?
Oh j'étais surtout guitariste rythmique, comme sur I Can't Explain des Who, par exemple, Juste second guitariste.
D'accord mais il se trouve que la guitare rythmique est la partie principale de I Can't Explain. Tu minimises volontairement tes contributions ?
Non, mais ce n'est pas moi qui ai écrit la chanson, ni You Really Got Me des Kinks, les crédits reviennent de droit à Pete Townshend et Ray Davies. Parfois, je jouais aussi les solos, comme
sur Gloria, Baby Please don't go, et Mystic Eyes des Them avec Van Morrison. Mais là encore, je n'étais que musicien d'appoint et tout le mérite revient à Van Morrison.
Il s'agit quand même de quelques-uns des solos les plus électrifiants du rock des sixties...
J'étais juste le session-man de service, c'est tout.
L'album Walking Into Clarksdale de Page et Plant était produit par Steve Albini. Pourquoi as-tu progressivement arrêté ton rôle de producteur ?
Il y a un aspect qu'il faut considérer. Quand je produisais Led Zeppelin, il fallait que je sois à la fois compositeur, guitariste et producteur, ce qui veut dire que lorsque les autres se reposaient, je continuais
de travailler. Je vivais, mangeais, et buvais Led Zeppelin. J'en ai payé le prix, cela m'a couté un divorce parce que Led Zeppelin était devenu une obsession. J'ai tout essayé pour m'en libérer, j'ai fait sonner
ma guitare comme une groove machine sur Presence et In Throught The Out Door. C'était une sorte de S.O.S, je devenais un robot et c'était insoutenable. Personne ne peut vivre 24/24h avec le
cerveau d'une machine et il a fallu que je prennes mes distances. par la suite, dans tous les projets Post-Zep, j'ai laissé le travail de production à quelqu'un d'autre.
Une autre facette, moins stressante, c'est ton intérêt pour la musique orientale
J'avais réalisé très tôt que la musique celtique et la musique orientale sont très semblables. Je jouais du folk en acoustique avec un accordage DAGDAD et je voulais aller plus loin. Après une tournée avec les
Yardbirds en Australie, je me suis arrêté en Inde. J'avais emmené une guitare acoustique et rencontré des musiciens locaux. Cela m'a inspiré à revenir en 1972 avec Robert Plant pour enregistrer
en Inde. Au départ, c'était un projet gigantesque, le plan était d'enregistrer en Angleterre, puis au Caire et ensuite en Inde, en Thaïlande et en Australie, avec un concert dans chaque pays. Mais il n'y avait pas
de scène il fallait les construire à l'avance, et quand nous nous sommes retrouvés en train de discuter avec l'aviation militaire indienne pour le transport du matériel j'ai compris que c'était impossible, trop
compliqué pour l'époque. Finalement, Robert et moi sommes allés à Bombay, où nous avons enregistré Friends et Four Sticks avec des percussions indiennes, pour l'album Zoso. Ce n'est que
bien plus tard que nous avons pu enregistrer en Egypte et au Maroc, pour un show TV de Page & Plant.
Le DVD reflète l'évolution musicale de Led Zeppelin entre 1969 et 1979. Tu l'as voulu ainsi ?
Oui, il y a l'Albert Hall sur le DVD 1, puis une sorte d'interlude au début du DVD 2 avec le clip de Immigrant Song et soudain on est dans Hey hey mama... de Black Dog et là tu peux voir le chemin
que nous avons parcouru en peu de temps. Au Royal Albert Hall, nous en étions encore à nous concentrer sur notre jeu, mais sur Black Dog nous avons tellement confiance en nous que nous bougeons
beaucoup plus, tout en continuant à improviser, et cette assurance a continué de grandit d'année en année.
Les chansons aussi évoluent, les arrangements, le feeling changent. Tu recherchais cela ?
Quand les chansons sont écrites, ce n'est qu'une phase embryonnaire. Elles ne naissent vraiment qu'au moment de l'enregistrement studio, avec les overdubs en filigrane pour les améliorer
er rajouter des couleurs différentes. Elles trouvent alors à ce moment-là leur identité et prennent place sur un album, une place voulue et choisie avec soin. Mais lorsque nous sommes en tournée,
elles grandissent et changent de personnalité, parfois totalement.
Parlons du triple cd live How The West Was Won. Presque trois heures de musique enregistrée en 1972, pendant deux concerts, à Los Angeles et Long Beach. Certains des titres sont
similaires à ceux de l'album BBC Sessions.Pourquoi les as-tu gardés ?
Même si les titres sont les mêmes, les performances de L.A. et Long Beach sont beaucoup plus dynamiques. Comme je te l'ai dit, les chansons évoluent à leur manière, sur la route. Sur les BBC Sessions, nous
jouons pour la première fois Stairway To Heaven et personne ne l'a encore entendue, c'est pourquoi les applaudissements sont clairsemés. Dans les concerts californiens, l'ovation qui salue
Stairway To Heaven est incroyable. Egalement sur les BBC Sessions, il y a trois versions de Communication Breakdown, toutes différentes. C'est notre particularité, d'un concert à l'autre,
il ya des différences radicales. J'ai toujours pensé que quand nous jouions à Los Angeles, nous étions vraiment meilleurs et c'est moi qui ai insisté pour que nous enregistrions ces concerts, je savais que
nous aurions de la magie dans chaque titre ! Tu as remarqué L.A. Drone qui ouvre l'album. Je voulais quelque chose d'unique pour ouvrir le concert et j'ai utilisé mon archet sur les cordes
de la Les Paul pour suggérer un son qui commence à bas volume, s'immisce partout dans le public et passe à haut volume dans la tonalité du morceau suivant Immigrant Song.
Tu as gardé ce concert dans tes archives pendant trente ans. Qu'y a-t-il d'autre que le public n'a jamais entendu ?
Il y a des concerts, des versions studios différentes, des mixes alternatifs et il faudra peut-être attendre encore vingt ans pour les entendre (rires). Mais il faudra que je réécoute tout avant de décider. Bien sûr il y a
aussi le transfert en 5.1, tout dépend de la façon dont les gens réagissent au DVD et au CD live, nous verrons ce qui suivra.
Parlons de tes guitares. Tu as une collection importante ?
Oui, sur le DVD, l'évolution est évidente, la Télécaster du premier album est visible sur le show TV danois. Je l'avais aussi utilisé avec les Yardbirds et elle avait été repeinte plusieurs fois, elle avait fait son temps,
mais elle est toujours chez moi. Pour l'album suivant, je suis passé à la Les Paul que tu peux voir au Royal Albert Hall, où je joue aussi en slide sur une Danelectro.
Pendant le concert de Knebworth, tu délaisses un instant ta Gibson Les Paul pour jouer sur Fender Stratocaster. Pourquoi ?
A cause de la whammy-bar, les Les Paul supportent mal une barre de vibrato en général et la Stratocaster était la solution idéale. Je l'ai aussi utilisé dans l'album Presence, sur le titre For Your Life.
Qu'as-tu dans ta collection ?
J'ai quelques pièces intéressantes, Flying V, Explorer, Guild Starfire. Mais je suis en train de les évaluer, pour les remplacer par des modèles similaires, mais en meilleure condition. Je suis intéressé par certaines
guitares de la collection de John Entwistle, en particulier une fabuleuse Flying V qui remplacerait bien la mienne. J'ai des Fender aussi, des Gretsh et des guitares plus pointues comme la
National Electrique. Contrairement à ce que l'on pense, je n'ai que deux Les Paul, celle que je joue, et une en réserve, datant toutes deux de 1954. J'ai une Harmony acoustique, sur laquelle j'ai écrit la
plupart des chansons de Led Zeppelin. Pour les deux premiers albums j'avais emprunté une Gibson J-200, mais ensuite je suis revenu à l'Harmony, qui sonne toujours aussi bien aujourd'hui.
Tu pratiques toujours la guitare chez toi ?
Oui, mais pas comme quand j'avais 13 ans, j'avais toujours ma guitare avec moi et les professeurs étaient obligés de me la confisquer à l'école. J'ai trois jeunes enfants, et je passe plus de temps à jouer avec eux qu'à
jouer de la guitare ! Mais, bien sûr je joue chez moi, quand les enfants sont couchés.
Tu as toujours été très secret au sujet de tes amplis. Qu'utilises-tu ?
Avec Led Zep, principalement des Marshall., parfois des Fender dans les seventies. Avec Page & Plant j'avais des Petersburg, avec des lampes russes, et des Fender, mais je pense que je vais revenir aux Marshall.
J'aime bien aussi mes Vox Super-Beatles, mais ils sont un peu fragiles pour les tournées et il faut pratiquement que j'engage un garde du corps pour que personne ne les vole !
Tes effets ?
Wah wah, chorus, compresseur, chambre d'écho/delay. Tous les autres sont rajoutés en façade par le sonorisateur.
Tes projets ?
Je ne ferme pas la porte à l'idée d'une reformation de Led Zeppelin, mais nous prendrons notre temps, nous ne le ferons pas simplement parce qu'un promoteur nous le demande. Cela dit, le DVD et le CD
nous ont redonné l'envie de jouer live, mais Robert est très occupé par sa carrière solo et je vais avoir une autre collaboration semblable à celle des Black Crowes, je ne sais pas encore avec qui, mais ce sera d'ici
à la fin de cette année.
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