INTERVIEWS : JIMMY PAGE : LED ZEPPELIN REDECOLLE
Dernière mise à jour : August 08 2003 16:25:24



Nouvel Observateur - Semaine du jeudi 29 mai 2003
Un entretien avec Jimmy Page de Bernard Géniès



Led Zeppelin redécolle


Mal aimé par une partie de la critique rock, adulé par un public qui, aux quatre coins de la planète, a acheté 200 millions de ses albums, Led Zeppelin, groupe phare des années 1970, fait un retour en force avec la sortie d'un double DVD et d'un triple CD enregistrés en concert.

Quand la comtesse Eva von Zeppelin découvrit en 1969 qu'un groupe de musiciens anglais avait osé reproduire sur la couverture de son premier album la photographie d'un dirigeable en feu -image de la célèbre catastrophe de 1937 qui causa la mort de 37 passagers- la comtesse donc affirma qu'elle n'allait pas laisser une bande de singes hurleurs utiliser notre nom de famille sans autorisation. La situation s'arrangea pour la simple et bonne raison que l'héritière avait oublié de noter qu'elle avait précédemment donné son accord pour que le groupe anglais puisse s'appeler Led Zeppelin. Les singes hurleurs s'appelaient Jimmy Page (guitare), Robert Plant (chant), John Bonham (batterie), John Paul Jones (basse et orgue), et à la fin de ces années 1960 ils jouaient ce que leur guitariste appelait du progressive blues, une manière polie d'avouer de sérieux emprunts à l'héritage des pères fondateurs du blues. Au rythme des albums, cette influence s'atténua pour céder, au gré des humeurs, la place au folk, au rockabilly, à la musique indienne ou au reggae. Sur scène, Led Zeppelin explose, imposant l'image d'un groupe de plus en plus rock et puissant qui allait ouvrir la porte aux cohortes du hard rock. Remplissant des stades entiers, Led Zep devient l'un des groupes les plus populaires des années 1970, son deuxième disque parvenant même à détrôner à la tête des hit-parades américains et anglais le Abbey Road des Beatles. En 1980, Led Zep se sépare après la mort - conséquence d'un coma éthylique - du batteur John Bonham. Aujourd'hui, après avoir vendu plus de 200 millions d'albums, le groupe renaît de ses cendres à l'occasion de la publication d'un double DVD et d'un triple CD qui retracent les grands moments de sa carrière. Jimmy Page, d'habitude peu bavard, a accepté de nous parler de cette géante entreprise.

Le Nouvel Observateur. : Qu'est-ce qui vous a incité, vingt ans après la disparition de Led Zeppelin, à sortir un double DVD ?

Jimmy Page . : Tout simplement parce que si l'on excepte le film The Song Remains the Same, il n'existait jusqu'alors aucune image du groupe sur scène. Retrouver ces documents a nécessité non seulement des recherches mais aussi un important travail de restauration. Certains concerts avaient été filmés dans un format vidéo qui n'existe plus aujourd'hui, et nous avons dû aller jusqu'à Singapour pour dénicher un appareil nous permettant de visionner les concerts de Earls Court et de Knebworth. Pour celui du Royal Albert Hall, les choses ont été plus faciles puisque nous disposions d'un enregistrement en 16 mm que nous nous sommes procuré alors qu'un collectionneur était sur le point d'aller le vendre chez Sotheby's.

N. O. : Led Zeppelin est devenu très rapidement célèbre, mais très rapidement aussi vous donnez l'impression de fuir les caméras de télévision. Pourquoi vous a-t-on aussi peu vu sur les plateaux ?

J. Page. : Dans les années 1970, pour passer dans une émission de télé, il y avait une marche à suivre. Il fallait d'abord enregistrer un 45-tours, un single, qui devait automatiquement figurer dans le Top 20 ou le Top 50. Ensuite, seulement, on vous invitait à condition, le plus souvent, de jouer en play-back. Il nous est arrivé d'accepter des invitations ; sur le DVD, nous avons inclus une séquence, une sorte de miniconcert, qui a été filmé par la télé danoise.

N. O. : Vous avez également accepté, en 1969, de participer à une émission de la télé française, Tous en scène. Cette séquence figure également sur le DVD. Vous pourriez nous raconter ce qui s'est passé ?

J. Page. : Alors ça, c'était un grand moment ! L'après-midi, nous avions répété avec les techniciens et tout s'était bien déroulé. Mais le soir -je crois que l'émission était diffusée en direct-, l'ingénieur du son a modifié les réglages et a monté la voix de Robert Plant, si bien que l'on n'entendait absolument plus le reste du groupe. Je me demandais ce qui se passait, s'il y avait un problème, mais non, visiblement l'ingénieur avait décidé que c'était mieux ainsi. Quant au public, qui était installé en face de nous sur des gradins, son attitude était surréelle. C'était des gens d'âge moyen, ils ne bronchaient pas, ils devaient nous prendre pour des extraterrestres. Je me souviens que sur les premières marches il y avait des musiciens de l'Armée du Salut qui étaient complètement pétrifiés. Ils attendaient leur tour de jouer.

N. O. : Refuser de faire des télés, soit, mais refuser de sortir des singles? En Angleterre, vous n'en avez publié qu'un seul. C'était risqué, non ?

J. Page. ? C'était un choix. Si nous l'avons fait, c'était pour éviter de tomber dans la routine des maisons de disques: dès qu'un single marchait, elle imposait aussitôt au groupe d'en faire un deuxième qui lui ressemble, pour ne pas déconcerter le public. Led Zeppelin n'a jamais été créé dans cet esprit-là. Nous avons toujours voulu que notre musique progresse, ce qui a été le cas à travers tous les albums que nous avons enregistrés. Quand nous répétions, dès que nous avions l'impression de faire un truc que nous avions déjà fait, nous nous arrêtions immédiatement.

N. O. : La scène a été aussi très importante pour la carrière du groupe. Que vous apportait-elle ?

J. Page. : C'était presque toujours un moment magique. Nous ne savions jamais ce qui allait se passer. Nous mettions un point d'honneur à ne jamais jouer un morceau comme nous l'avions enregistré en studio, nous nous sentions libres d'improviser. Il y avait entre nous une énergie prodigieuse qui circulait.

N. O. : En regardant le DVD, on a l'impression que parfois vous n'êtes pas très éloigné d'un état de transe, je pense par exemple à votre improvisation sur White Summer?

J. Page . : C'est curieux que vous me disiez cela. Lors d'une de nos premières tournées aux Etats-Unis, j'ai eu l'occasion de faire une interview avec William Burroughs. J'ignorais qu'il suivait nos concerts ! Lui aussi m'a parlé de transe et il m'a conseillé d'aller au Maroc. Vous verrez, m'a-t-il dit, là-bas il y a des musiciens qui jouent comme vous. Je l'ai écouté, je suis allé au Maroc une première fois en 1972. Le conseil était bon, très bon !

N. O. : On sait que vous n'aimez pas la nostalgie. Pourtant, en réalisant ce DVD, est-ce que vous n'avez pas eu des pincements au coeur ?

J. Page. : Si, bien sûr. De revoir et entendre John Bonham m'a ému. C'était un type formidable et un batteur extraordinaire qui débordait d'idées. Quand il est mort, j'ai perdu un ami mais le rock a perdu un grand musicien.

N. O. ? Vous avez aujourd'hui 59 ans. On vous a vu jouer avec Black Crowes et avec Robert Plant. Est-ce qu'on peut imaginer de revoir un jour Led Zeppelin sur une scène avec un autre batteur ?

J. Page. : Si John Paul Jones, Robert Plant et moi nous nous retrouvons dans une même pièce et que nous éprouvons une envie réelle de jouer ensemble, alors pourquoi pas ? Mais si nous le faisons, ce ne sera pas parce qu'un organisateur de tournées nous l'aura proposé avec un paquet de millions de dollars à la clef. L'an dernier, on nous a fait une offre de ce genre-là. Nous avons refusé.

Huit heures de concerts
Un double DVD, un triple CD, la réédition de dix albums du groupe en Vinyle Replica (réédition au format CD de la pochette originale de l'album) : le dirigeable Led Zeppelin a été regonflé à l'hélium du marketing ! Le double DVD est de loin l'objet le plus intéressant. Composé de deux disques, d'une durée totale de 5 heures 20 minutes, il ne comporte que des enregistrements inédits. Le morceau de bravoure - qui occupe à lui seul un disque - est constitué par le concert donné au Royal Albert Hall le 9 janvier 1970. A l'époque, le groupe vient de sortir son deuxième album et sur scène il affiche déjà une étonnante cohésion, enchaînant I Can?t Quit You Baby , How Many More Times, Whole Lotta Love, Communication Breakdown, autant de titres appelés à devenir les icônes musicales du groupe. Le deuxième volet de cet ensemble est constitué de trois extraits de concerts enregistrés au Madison Square Garden (1973), à Earls Court (1975), le tout s'achevant sur le feu d'artifice de l?édition 1979 du festival de Knebworth devant près de 400 000 spectateurs. A quoi viennent s'ajouter interviews, clips, émissions de télé, home movies.
Le coffret des 3 CD comprend quant à lui les enregistrements réalisés pendant deux concerts donnés au Los Angeles Forum et au Long Beach Arena les 25 et 27 juin 1972: au programme, une version de Dazed and Confused de 25 minutes, une autre de Moby Dick de plus d'un quart d'heure et un long medley de Whole Lotta Love. Du solide Zep !