INTERVIEWS : ROBERT PLANT - LET' S ZAP
Dernière mise à jour : August 08 2003 16:25:27



ROBERT PLANT - LET ZAP ! - CROSSROADS JUILLET-AOUT 2002 N°5
[ http://www.banditscompany.com ]
Interview : Christophe Goffette

INTRO : Robert Plant, c'est culbuto-man !! Toujours avec trente mille idées en tête, il les oublie avant même de commencer à y songer un peu sérieusement. Changeant d'avis comme de coiffeur, il passe le peu d'interviews qu'il accepte d'accorder à parler de projets dont la durée de vie ne dépassera que rarement le quart d'heure. Il y a deux ans, par exemple, il annonçait à tout crin se lancer éperdument dans la world music, on attend encore !! ça ne l'empèche pas, parfois, de se poser vraiment, d'oublier un peu ses bouclettes dorées garanties d'appellation controlée et de pondre des albums plus ou moins bien sentis. Le dernier en date, Dreamland est peut-être le plus cohérent qu'il ait enregistré depuis l'àprès-Led Zep, en tout cas sans son compère Jimmy le Page ; un disque d'interprétations (et non de reprises) de morceaux qui ont bercé ses débuts de chanteur, et au milieu desquelles il délivre trois nouvelles compositions du même tonneau. Son disque le plus cohérent donc et, de fait, le meilleur du lot, probablement. Ca ne vaut pas la patte folle de Houses Of The Holy ou les fonds de tiroir de Physical Graffiti, mais, par les temps qui courent, c'est tellement rare qu'on applaudit des deux mains et des deux pieds.

INTRO SUITE : Robert est joyeux, il a gentiment dragué l'attachée de presse de Mercury/Island, en la remerciant, les yeux droits dans les seins, pour son travail monumental et historique (une interview réalisée par l'apprenti-assistant-stagiaire d'une chaine en trois lettres d'une médiocrité assez pathétique, l'interview pas la chaine (Encore que !!). Celle-ci lui retourne son sourire (qu'elle a d'assez craquant, avouons-le), parce que, quand même, hein, c'est le monsieur qui chantait dans Led Zeppelin, et pas n'importe quel starliton de seconde zone ; et voil le Roro qui gonfle le poitrail, démarche Lucky Lukienne en prime, comme le premier coq sorti de son bac à sable. Et que je t'en rajoute des tonnes. Une fois la porte de l'ascenseur fermée, puisqu'il est prévu qu'on grimpe dans sa nirvanesque suite, c'est tout juste s'il ne remonte pas son service trois pièces comme les canons encore fumants après le premier coup de semonce.

Vraiment, Robert est content et, après que j'eus scruté d'un rapide coup d'oeil l'iimmense chambre sur deux niveaux qui lui tient lieu de résidence d'un jour, il me fait le rituel version extended remix du mec qui s'y connait en pinard et t'ouvre la meilleure bouteille de sa cave. Sauf que là il n'y en a qu'une, de bouteille, cadeau de la maison évidemment (ils peuvent, au prix de la piaule), un petit Margaux 84 Grand Cru Classé de derrière les fagots, qui réveille instantanément mes papilles. Comme nous sommes pervers, nous commandons également du thé chinois fumant, et attaquons sans plus tarder notre petit entretien enregistré

L'album s'appelait originellement Head First. Qu'y avait-il derrière ce titre : l'idée d'une seconde naissance ? Un sentiment de fierté ?

C'était plutôt lié au fait qu'autour de moi on dit toujours que ce que je fais, je le fais intensément. Je suis assez impulsif de nature, je saute sur le moment présent et quand une idée me botte, je fonce !

Cet album regroupe des reprises ou, disons, des interprétations. Eait-ce pour toi une façon de fuir les pressions extérieures ? Après tout, ce ne sont pas tout à fait tes chansons.

Pour être totalement franc, je ne me suis posé aucune question. Je ne recherchais ou ne craignais rien de précis. J'ai plutôt été verni, car j'ai eu une carrière formidable et je mène une vie en tout point positive. Non, ma seule motivation est de me sentir inspiré, d'avoir envie de me défoncer sur un projet, de retrouver de bonnes vibrations. En même temps, il se trouve que cette fois-ci j'avais plus envie d'interpréter que d'écrire. Ca casse un peu la routine. Pourquoi est-ce qu'après trois ans de breaks et de scène, je me serais mis, comme ça,à écrire du jour au lendemain, sans trop savoir où aller. J'aurais très bien pu le faire, tu me diras, techniquement j'en suis capable, mais quel intérêt ? Pourquoi me forcer ? Finalement, je ne suis qu'un chanteur. J'ai des opinions comme tout-un-chacun, mais je n'ai pas de message  faire passer.

Il y avait donc cette envie de chanter, on peut parler de plaisir ?

Oui, définitivement. Et j'avais envie de chanter des chansons que j'aimais tout particulièrement. J'ai passé une partie de ma vie de chanteur à jouer au blanc-bec qui s'approprie le blues des blacks. C'est quelque chose que j'aimais et que j'aime toujours, mais ce n'est qu'une facette de ce que je veux montrer. J'ai déjà, par exemple, beaucoup emprunté aux musiques maghrébines ou nord-africaines. Et ça remonte à l'album Led Zeppelin III, quand moi et Jimmy avions les oreilles grandes ouvertes sur tout ce qui pouvait se passer là-bas ou ailleurs. Aujourd'hui, j'ai besoin que la musique me touche, qu'elle soit proche de moi humainement. C'est ainsi que j'ai imaginé cet album, qui est un peu la B.O. d'un moment de ma vie.

Pourquoi avoir attendu autant avant de chanter ces morceaux, qui ont tous au moins trente ans ?

Je ne sais pas, c'était si différent de tout ce que j'vais fait jusqu'à présent. Et puis, comme souvent, ce sont les choses les plus proches, les évidences, que l'on perçoit le plus difficilement. Ils s'inscrivent un peu dans la veine des Ramble On et Down By The Sea-Side, mais ils vont aussi et surtout puiser ailleurs. A l'écoute du disque, ce n'est peut-être pas évident pour qui ne connait pas les versions initiales, mais les originaux sont réellement à des années-lumière de ce que je représente moi. Et puis il y avait aussi la curiosité, celle de savoir comment je pourrais ou non m'approprier ces titres. Ecrire de bonnes ou de moins bonnes chansons, j'ai déjà donné !

Il semble y avoir une espèce de communion entre toi et ton backing band, Strange Sensation, comment cette alchimie fonctionne-t-elle ? Cela marche-t-il comme un perpéttuel rééqquilibrage entre ton expérience qu'ils contrebalanceraient par une certaine spontanéité ?

Oui, mais c'est aussi davantage fusionnel. L'idée originelle était de m'entourer dÃuune poignée de musiciens qui n'avaient aucun lien affectif avec ces morceaux. Pour moi, il y a beaucoup de spiritualité qui s'en dégage, car ils me renvoient à une période de ma vie, et donc à une autre image de moi-même. Pour eux, ce ne sont que des notes de musique et leur approche était purement sonique. Ensuite, le background musical de chacun a apporté un petit plus. C'est là que nous nous sommes retrouvés et complétés. C'éttait une expérience très intéressante et très enrichissante, car j'étais un peu le vieux prof qu'on questionnait ; et ce qui restait de ces chansons était plus émotionnel que simplement musical, ce sont avant tout des souvenirs.

Ces musiciens sont donc plus qu'un backing band.

Tout à fait. Une autre chose importante était que tout le monde devait aimer chacun des morceaux que nous avions décidé de reprendre, c'était la condition sine qua non à notre première sélection. Ensuite, la sauce a plus ou moins bien pris selon les titres, parce que tout le monde n'était pas sur la même longueur d'ondes et ne percevait pas la chanson de la même façon. Au final, il reste cette brochette de titres, où nous nous retrouvions à la fois en tant que musiciens et en tant qu'êtres humains.

Musicalement, les titres sont basés sur des structures assez riches, Â défaut d'être réellement complexes.

Je ne suis pas tout à fait d'accord, il y a quand même par exemple des changements de rythme qui n'ont pas été si simples que cela à mettre en place. Au niveau des guitares, par exemple, il y a eu un sacré boulot d'effectué. Ce qui d'ailleurs a permis à chacun d'explorer de nouveaux horizons. Je pense notamment à Porl Thompson qui, au sein de Cure, avait pu créer des ambiances assez tarabiscotées, mais jamais des choses autant portées sur la flamboyance et la débauche d'énergie. Cure me fait un peu penser aux Stereophonics, on les reconnait immédiatement, mais c'est trop étriqué et jamais réellement excitant, car sans surprise.

Je ne suis pas un grand fan, mais dire de Cure qu'ils sont sans surprise, c'est un peu abusif. Si je peux me permettre, tu as fait suffisamment de choix consensuels pour ne pas te permettre ce type de remarques !

Je ne suis pas sur que tu vas finir ce vin, toi (sourire un peu crispé). Mais tu fais bien de me remettre à ma place, d'ailleurs c'était un peu hatif de ma part, d'autant plus que je connais assez mal le répertoire du groupe. Enfin, je pense que tu as saisi où je voulais en venir : ce qu'on a fait sur Dreamland, ce n'est pas de la pop, ça ne se cantonne pas dans un mouchoir de poche, c'est vraiment du rock écran large.

Il peut être parfois difficile de chahuter le corps et l'esprit sans passer par les grands moyens. Une grosse guitare ou une rythmique bien péchue, ça passe toujours très bien, mais c'est finalement un procédé assez commun et presque galvaudé.

Je suis d'accord avec toi, cela peut mÂmme être un sacré challenge que d'arriver à émouvoir avec des petits riens. Sur ce disque, j'emploie le mot flamboyance, mais je pense que les chansons sont aussi très émouvantes, très prenantes, on est loin d'un rock simpliste et calibré. On pourrait presque parler de traduction, comme si ces musiciens, qui sont plus jeunes que moi, les transformaient pour leur donner une sonorité actuelle et une nouvelle vie, avec moi au gouvernail, pour bien veiller à ce qu'on ne s'écarte pas trop de ce que veut dire le morceau en question, à ce qu'il a représente pour moi et à ce qu'il représente toujours, car j'écoute encore beaucoup de ces chansons.

Est-ce pourquoi tu emploies les mots adaptation ou interprétation ?

Oui, et en studio tout le monde pétait un peu les plombs, il y avait une réelle envie de jouer. Le fait de ne quasiment pas composer nous laissait plus légers pour appréhender les chansons des autres. Je pense que cette énergie, cette sauvagerie même parfois, est assez bien retranscrite. Il y avait aussi beaucoup d'enthousiasme, j'avais parfois l'impression d'être  la veille d'un premier concert ou dans les premiers moments d'un groupe qui vient de se former, quand tout parait possible et que les désillusions ne sont pas encore au programme. C'est un disque totalement décomplexé et naturel, il n'a pas d'autre ambition que de faire partager notre passion pour une certaine idée de la musique rock.

La fin des chansons, justement, retranscrit assez bien, cette énergie à laquelle tu fais allusion.

Oui et on n'a pas tout conservé, car parfois on n'arrivait tout simplement pas à s'arrêter ! Je trouve d'ailleurs la majorité des fins de morceaux meilleures que les débuts. On n'arrivait pas à passer au-delà d'un certain respect pour l'oeuvre originelle, même si on s'en éloignait ; et puis quand la machine était en route, bam (il mime une explosion, en battant des bras), c'était la débandade, une bande de gamins qui déflorent leur premier rock and roll ! Une chose curieuse, et c'est une des rares fois où ça m'arrive en studio, c'est qu'on était vraiment à fond dedans, toutes nos discussions tournaient autour des morceaux, c'est assez rare pour le signaler.

Ces relations que tu évoques avec ce nouveau groupe paraissent vraiment solides, j'en veux pour preuve les nouvelles compositions, qui sont créditées  Robert Plant and band

L'inverse serait même plus juste, tant ils ont tous apporté énormément.

Ces trois nouvelles compos - je crois que vous en avez composé deux ou trois de plus- se mélangent parfaitement au reste de l'album.

On s'est d'abord occupé des reprises et, sur notre lancée, on se sentait tellement bien, qu'on a enchainé avec d'autres titres, ce qui n'était pas spécialement prévu  l'origine. Tout s'étant déroulé assez vite, la coloration d'ensemble est assez uniforme et cohérente. Je pense vraiment qu'on a développé avec ce groupe une identité musicale qui nous est propre. Une des seules décisions que nous ayons prises avant de commencer à bosser était que nous ne voulions pas de blue notes, tous ces trémolos de guitare qu'on retrouve partout. Nous n'en avions pas besoin, car nous ne voulions pas ouvrir les portes habituelles, mais aller voir ailleurs. Ainsi, un titre comme Win My Train Fare Home, dont la base est très blues, se retrouve totalement transformé et transfiguré. On cherchait à faire souffler un vent de liberté sur ce disque et tout a été fait dans ce sens. Aucune décision n'était jamais prise avant qu'on ait essayé toutes les possibilités qui s'offraient à nous.

Red Dress est en quelque sorte un pastiche, n'est-ce pas ?

Oui, un pastiche et une ambiance bien particulière également. C'est un morceau où l'on essaye de montrer que jouer assez peut aussi vouloir dire ne pas jouer trop. Je ne sais pas si je suis bien clair, mais tout ce qui est contenu dans ce morceau et tout ce qui n'y est pas requiert la même attention. C'est typiquement un mid-tempo d'influence bluesy, mais j'avais surtout envie que mes textes soient à la croisée de chemin, qu'on ne sache pas trop où commençait la chanson et où s'arrétait le pastiche. C'est typiquement le genre de titres qui s'écoutent dans le noir, il y aussi un peu de Bo Diddley là-dedans. Et puis, avec l'écho dans l'harmonica, le titre prend une autre dimension et devient presque un road song, d'une certaine façon. Mais pastiche reste la meilleure définition de ce titre. D'ailleurs, c'est parce que je pense qu'on ne peut plus rien faire d'authentiquement original, que je me suis tourné vers le pastiche. De manière générale, nous avons essayé de styliser chaque titre pour le rendre plus harmonieux, plus onctueux et moins référentiel. Je le répète, ce n'est pas un disque de reprises faciles, comme on en voit beaucoup ces jours-ci. Il a une âme et sa propre force de caractère.

Aujourd'hui, quel carburant nourrit et stimule le moteur Robert Plant ?

Après avoir joué ici, à Paris, en 98 ou 99, avec Jimmy Page, pour Amnesty International, ce concert avec Radiohead, Springsteen, Peter Gabriel ou encore le Dalai Lama et tant d'autres, je me suis rendu compte que quelque chose venait de se casser. J'en avais tout simplement marre d'être ce type qui aurait été une sorte de Dieu de 68 à 73 et qu'on ressort du placard de temps à autre, pour faire plaisir aux foules. Je ne voulais tout simplement plus jamais être cette personne-là dans ce genre de lieux, et c'est ce que je fais aujourd'hui. C'était bien trop restrictif et cela n'avait que trop duré !

Ce fut donc comme une révélation, c'est ça ?

Oui, et d'ailleurs j'ai arrétét de fumer cette même nuit ! Je regardais Radiohead, j'étais totalement fasciné par cette sublime voix, j'ai simplement balancé ma clope en beuglant un truc du genre Fuck the cigarette ! (rires). Et juste après j'ai envoyé pètre ce type-là, ce Robert Plant qui n'était juste bon qu'à chanter du bon vieux rock and roll. Aussi, comme je n'avais vraiment rien fait d'excitant pendant des années, quand est arrivé ce projet, mon moteur était carrément en feu ! Mon carburant n'est que cette ambition que j'ai à me sentir neuf, vivant, différent. J'ai une bonne vie, je n'ai pas de problèmes d'argent ou de santé. Mais tout ceci manquait sérieusement de peps. J'ai carrément l'impression d'avoir été absent, d'être parti en voyage pendant de longues années et de seulement revenir aujourd'hui. C'est même à double tranchant, car je pense que ce nouvel appétit me fait un peu tourner la tête et me rend peu objectif. Si tu veux que je te parle de ce disque, je vais te dire qu'il est fantastique et furieusement expressif, que les musiciens ont bossé comme des grands chefs dans un restaurant trois étoiles, que le groupe est en ébullition et que quand nous jouons tous ensemble, c'est feu d'artifice à tous les étages ! Ce sont ces mots-là qui me viennent  l'esprit et en même temps, ce ne sont que des conneries ! Ce disque, il est ce qu'il est, il a vécu dans les veines de tous ceux qui l'ont conçu et il faut s'y plonger pour le comprendre. Je sais qu'on me demande de parler, d'expliquer, je sais à quel point c'est important pour les médias, et pour faire connaitre cette musique, également, mais je trouve le jeu un peu faussé. La perspective de Dreamland part vers une espèce d'infini, le disséquer ne lui rend pas service, car cela en amoindrit les qualités intrinsèques.

Comment s'est déroulé le processus de récupération des chansons, comment es-tu allé puiser dans tes souvenirs pour y ramener ces chansons, intactes, et les ranimer avec ce groupe ?

Well, je suis un avide collectionneur de vinyles ; et ce, depuis toujours. J'en achète énormément, et j'en écoute tout autant ! Je suis resté assez fidèle au format vinyle, que ce soit les 45 tours ou les 33 tours. Ce qui est curieux, c'est que malgré cette imposante collection et les centaines de chansons que j'aurais pu avoir envie de retravailler, j'ai fait mon choix très rapidement, comme si ces chansons n'attendaient que le moment où elles allaient être cueillies. Et toute leur energie m'a explosé à la figure. Ensuite, c'est monté en puissance, car nous avons choisi des chemins de traverse. Ca me fait un peu penser aux White Stripes, par exemple, qui jouent une espèce de blues anémique sans réel relief, mais ils le font avec une telle force de conviction qu'on en a presque l'impression qu'ils ont inventé un style à eux seuls. Et si, par exemple, ils reprenaient de cette façon un titre de Robert Johnson, le résultat serait sans doute aussi intéressant que moi reprenant aujourd'hui Song To The Siren de Tim Buckley. Mes musiciens n'avaient aucune vision conceptuelle de ces chansons et moi je n'avais que des souvenirs  partager, nous étions fait pour nous entendre, et cela s'entend (rires)

La première fois que j'ai écouté l'album, j'ai évidemment pensé à No Quarter, en me disant que celui-ci en était la suite parfaite. En quoi No Quarter a-t-il été un tournant décisif dans ta carrière et penses-tu qu'il t'ait aidé à comprendre où tu te situais dans la scène musicale actuelle ?

Mon pauvre, si je savais vraiment où me situer (rires). Non, plus sérieusement, ta question est bien formulée et je vais y apporter une véritable réponse. D'une certaine manière, parce que j'en sais trop, je suis en quelque sorte apatride, musicalement parlant. Par ailleurs, je ne joue plus ce jeu pour un quelconque succès commercial, car j'ai tant donné dans le domaine et j'ai été si loin, que je ne serais plus que l'ombre de celui que j'ai jadis été; mais en même temps, tout le monde autour de moi veut que ça fonctionne, car à mon niveau, je suis une petite entreprise et que, comme toute entreprise qui se respecte, celle-ci se doit de faire des bénéfices. Je suis donc nulle part et partout à la fois ! Je n'appartiens à aucun endroit, contrairement aux chansons, les miennes comme celles que je reprends. Je me considère davantage comme un messager, quelqu'un qui apporte ces chansons et les diffuse à qui veut les entendre. Je pense d'ailleurs que plus on écoute mes disques et moins on me connait, preuve que je ne suis que le véhicule de ma musique et non l'inverse. Pour ce disque en particulier, je suis même le véhicule idéal, car je ramène à la vie ces chansons que le public connait mal ou ne connait pas, avec mon histoire, mon vécu de chanteur, et le projet tient autant de mon image que du travail effectué sur ce répertoire. Je dis ça en toute modestie. Un inconnu qui ferait le même disque, aussi bon ou meilleur, n'aurait pas la même attention du public, le concept même du disque repose d'ailleurs sur l'attente du public par rapport à ce que je peux apporter à des chansons qui ne sont pas les miennes.

Dirais-tu de ce disque qu'il se devait d'être le reflet d'un espace-temps impalpable, qui couvrirait ta vie de passionnée de musique, à l'intérieur de ta propre vie ?

Hum C'est difficile à dire, car je ne me suis pas mis en face du projet comme un élément essentiel ou vital à ce projet. C'est parti d'une idée toute bête, qui a plu au groupe, et tout s'est déroulé de la façon la plus simple du monde, comme une bande de copains qui s'amuserait à faire quelques reprises, dans leur garage. Aujourd'hui, l'industrie du disque me parait figée, je dirais même castrée, revenir sur ces chansons nous permettait de contourner ces problèmes et d'avoir d'emblée un souffle de vie indestructible. Comment d'ailleurs aurions-nous pu détruire ce dont nous n'étions même pas les véritables géniteurs ? Détruire une bonne chanson me parait presque plus prétentieux que d'essayer de lui trouver une nouvelle résonance. Ce qui est intéressant avec la majorité de ces chansons, qui remontent à la seconde partie des sixties, c'est qu'elles s'accompagnent de toute une charge historique. Beaucoup de changements sociaux sont intervenus à ce moment-là. Aujourd'hui, ce n'est que du passé, mais ces éléments vivent dans ces chansons et dans la musique de cette époque, en général.

Dirais-tu que ce disque est comme la B.O. de cette époque ?

Oui, c'est ma B.O., parce que j'y étais. Ces chansons parlent globalement à tous ceux qui les connaissaient à ce moment-là ; et me renvoient à moi des images qui forcément me sont plus personnelles. Il y avait le Vietnam, les étudiants se révoltaient partout, notamment ici à Paris

Ils se révoltaient partout. Sauf en Angleterre !

Oui, nous regardions, comme souvent, l'agitation extérieure (rires). Notre pays est assez difficile à faire bouger. D'ailleurs, musicalement, en réponse à toutes ces merveilles qui envahissaient les ondes et les salles de concerts aux Etats-Unis, qu'avons-nous eu ? The Move, Status Quo, Pictures Of Matchstick Men. Franchement, qu'est-ce qui a pu merder à ce point (rires) ? L'Angleterre est un très vieux pays, quand quelque chose y est écrit, c'est pour longtemps. Socialement, chacun a sa place et si tu nais ouvrier, tu as très peu de chances de finir autrement. Cela explique pourquoi il y a si peu de commentaires sociaux dans nos chansons, les artistes comme les autres ont déjà baissé les armes. On a donc cette pop un peu fun un peu gentillette et ce côté éphémère qu'on lui accole avec tous ces groupes qui arrivent au top et disparaissent avant même qu'on ait eu le temps de bien imprimer leurs visages. L'Amérique, par contre, était vraiment mon terrain de jeux musical, c'est pourquoi ce disque est tourné de ce côté-là de la planète rock.

L'Angleterre a quand mÂmme été le berceau du punk dans sa forme la plus brute

Oui, mais le propos était différent et complètement nihiliste. Les AmÂrricains critiquaient, mais proposaient des solutions pour l'avenir. Le punk anglais n'était qu'un vague refus de tout ce qui était établi, mais ne proposait rien à la place, d'où d'ailleurs le fameux no future! à côté de ça, heureusement, il y a des gens comme Joe Strummer, qui ont des choses  dire, et qui le disent.

Revenons  l'album : as-tu essayé plusieurs versions différentes pour chaque morceau ?

Pas vraiment, car ce sont d'abord des chansons que nous avons jouées en répétition, puis en concert. Elles ont commencé à prendre leur envol, un peu dans tous les sens, puis se sont stabilisées pour atteindre finalement leur rythme de croisière ; et là, nous les avons enregistrées avant qu'elles ne s'essoufflent. Un de mes plus grands sujets de satisfaction concernant cet album est qu'il n'y a pas eu de confrontation entre les différentes personnes qui y ont participé, l'ambiance était réellement bon enfant et il y avait beaucoup de complicité entre nous.

Qu'en est-il du choix des instruments ? Je n'irais pas jusqu'à dire que le résultat est inhabituel, mais il semblerait que tu aies vraiment fait attention aux détails, non ?

La majorité de l'album a été enregistré live, sur les planches. On n'a pas utilisé beaucoup d'instruments curieux, un peu de Gimbri ou de Darbuka par exemple, mais les choix des sonorités des instruments classiques, tels que la basse ou la guitare, étaient parfois assez audacieux. Ceci mélangé à la puissance évocatrice du live a parfois donné un résultat au-delà de nos espérances.

L'ordre des morceaux parait très important, ce disque raconte une histoire dans l'histoire, avec un début et une fin

Cela me fait beaucoup plaisir que tu l'aies remarqué, parce que c'est vraiment quelque chose pour lequel on s'est gentiment pris la tête. Il y a cette porte, on peut choisir de rester dehors, mais si on entre, on n'a pas beaucoup l'occasion de s'asseoir ou même d'enlever ses chaussures ! On a essayé de nombreuses combinaisons, mais il y avait toujours quelque chose qui clochait. Parfois, le disque semblait totalement morne, presque inanimé. La longueur des espaces entre les chansons nous a aussi pris pas mal de temps, il fallait juste pouvoir reprendre sa respiration, mais pas commencer à retrouver un pouls normal.

J'ai lu quelque part que tu avais dit, à propos des années psychédéliques que les gens étaient là, à même le sol, et que la musique que vous faisiez avec Led Zeppelin n'était qu'un fonds sonore pour leurs esprits égarés. Penses-tu que la musique des seventies est devenue importante aprés les seventies, quand les médias ont transformé certains artistes en légendes, comme toi-même ?

Je crois effectivement que la musique n'était là que pour accompagner et que le résultat dépendait beaucoup des substances absorbées. Si un artiste et un groupe carburaient sur la même longueur d'ondes, cela pouvait être fantastique ! Aller à un concert de Grateful Dead si tu es clean, cela ressemble à du suicide mental ! L'une des conséquences de tout ceci est que la plupart des groupes qui étaient encore debout à la fin des seventies étaient totalement carbonisés. Ceux que la dope avaient épargné étaient happés dans la spirale répétitive de cette vie sans fin. La beauté de la musique dans ce genre d'histoires ne reste pas longtemps de mise. Tout devient un calvaire : des chambres d'hôtel qui se ressemblent, des concerts qui finissent par se ressembler aussi, des disques que tu n'as même pas envie d'enregistrer et que tu détestes encore plus une fois qu'ils sont dans le commerce. Ce n'est pas de la musique, c'est de l'entertainment ! Et le pire, c'est qu'on peut y prendre un plaisir malsain. J'adore jouer Whole Lotta Love pour la dix millième fois, car je sais que c'est un succès assuré, mais en même temps c'est un peu facile. Où est le danger ? Pendant un moment, cela m'était très pénible. Aujourd'hui, je le vis très bien et j'essaye de concilier mes envies d'artiste avec les attentes du public. Je pense qu'on peut trouver un juste milieu qui satisfasse tout le monde et qui épargne les uns et les autres.

Es-tu toujours ambitieux ?

Mon ambition est simplement de continuer à faire de bons disques, et je pense sincèrement aujourd'hui sortir un bon disque, et poursuivre mon évolution au milieu de tout ce barouf, à mon rythme. J'ai été tant obsédé par des conneries qu'aujourdÃhhui je profite de l'instant présent, sans me prendre la tête. J'ai eu de la chance, par rapport à un James Taylor, par exemple, qui avait totalement disparu de la circulation pendant des lustres, alors je saisis cette chance et je ne la laisse pas m'échapper.

Les pressions pour une éventuelle reformation de Led Zep doivent parfois friser le délire, non ?

C'est sûr qu'à l'époque où on n'entendait que des cochonneries du type Spandau Ballet à la radio, les gens nous suppliaient à genoux de revenir tels des sauveurs du rock and roll (rires) ! A cette période où la guitare était totalement bannie des ondes radio est sans doute ce qu'on a connu de pire. Je me souviens que Phil Collins avait eu un immense succès aux Etats-Unis. Avant la sortie de son disque, j'avais assisté à cette étrange conversation entre lui et le patron de sa maison de disques, Atlantic. Ce dernier lui dit : tu pourrais avoir un méga-hit avec ce disque, dommage qu'il y ait cette guitare, là . Et Phil de répondre : Yeah, c'est Eric Clapton ! (rires)

Les chansons que tu as choisi de reprendre sur Dreamland ont un message, ce ne sont pas simplement des airs pop, folk ou blues. Ton choix s'est-il orienté sur le contenu autant que le contenant ?

Non, pas du tout. Il est vrai que ces chansons portent en elles plus qu'une simple succession de notes, mais mon choix s'est fait uniquement sur le lien affectif qu'elles m'inspiraient. C'est un disque assez égoïste, il regroupe simplement ces airs que je chante sous la douche ou que je siffle quand j'écrase le chat du voisin en garant ma voiture (sourire amusé). Il y a une certaine profondeur dans la musique populaire qui n'est en rien comparable avec ce qu'on peut y dire. Je reconnais que c'est assez paradoxal, mais beaucoup de chansons qui hantent nos esprits ont des paroles assez pauvres, pour ne pas dire inexistantes

Tu penses aux Beatles, là (rires) ?

Entre autres (rires)

C'est quelque chose d'assez anglais ce que tu dis : c'est l'essence même de la pop, de belles mélodies, mais aucune substance ?

Tu sais, après toutes ces années, je n'ai vraiment plus l'impression d'être anglais. J'y suis né, mais depuis, je vis à Dreamland