INTERVIEWS : LA RESURRECTION
Dernière mise à jour : August 08 2003 16:25:39



LA RESURRECTION

Buzz n°26 mai/juin 1998

 

En 1994, Jimmy Page et Robert Plant se réunissaient à la surprise générale. Page sortait d'un faux-pas mémorable (l'épouvantable collaboration avec David Coverdale) et Plant n'était jamais parvenu à s'imposer malgré de nombreux albums solos. Le vaisseau Led Zeppelin avait coulé en 1980 suite au décès du batteur John Bonham, dû à une overdose de vodka, et, depuis, le torchon brûlait entre l'ex-chanteur du groupe, Robert Plant, et l'ex-guitar hero, Jimmy Page. Faisant table rase des discordes du passé pour en exhumer la quintessence, les deux hommes, enfin rabidochés, publiaient "No Quarter", album qui revisitait brillamment façon World-Music (ensemble égyptien, musiciens de Marrakech et cordes du London Metropolitan Orchestra) les grands titres de Led Zeppelin et comportait quatre chansons inédites.

Aujourd'hui, dix ans précisément après avoir reformé le dirigeable avec Jason Bonham (fils de feu John) à la batterie, à l'occasion du concert géant organisé au Madison Square Garden pour le quarantième anniversaire du label Atlantic, Jimmy Page et Robert Plant publient "Walking Into Clarksdale", nouvel album somptueux peuplé de ballades colériques et de subtils arrangements orientaux à base de cordes et d'instruments traditionnels. Plus complices que jamais et enfin pleinement heureux de (re)travailler ensemble, Page et Plant ont retrouvé la magie d'antan ; voix et jeu de guitare sont miraculeusement intacts et les nouvelles compositions n'ont rien à envier à ces pièces d'anthologie intitulées "Friends" ou "Kashmir". Sophistiqué autant que raffiné, "Walking Into Clarksdale" révèle une légèreté diaphane, contrastant singulièrement avec la lourdeur métallique qui fit la gloire de Led Zeppelin. D'une ingéniosité digne de leur légende, les guitares de Jimmy Page tissent d'étranges tissus multicolores, multisonores, étendards avant-coureurs d'un brutal assaut de notes diluviennes lancé par la voix aérienne et modulable à satiété de Robert Plant.

A nouveau sur la route, Page & Plant (accompagnés d'un bassiste, d'un batteur et d'un clavier) donnent des concerts hallucinants, moments de bravoure au fil desquels ils livrent des versions démoniaques et fulgurantes de leurs anciens succès. Aussi à l'aise sous le soleil de la rive asiatique d'Istanbul (malgré la présence inopportune de l'armée turque dans la salle...) que dans la moiteur sombre de la Cigale parisienne (où un public littéralement conquis à pris une claque phénoménale), les monstres sacrés exécutent "Heartbreaker", "Ramble On", No Quarter", "Bring It On Home", "Babe I'm Gonna Leave You", "How Many More Times", "The Wanton Song", "Thank You", "Rock'n Roll" ou encore "Whole Lotta Love" dans l'enfance de l'art : wah-wah, solos vertigineux, riffs passés à la moulinette, utilisation d'un archet de violoncelle sur guitare électrique, etc. Egalement au programme de leur répertoire scénique, un superbe passage acoustique avec contrebasse et mandoline ressuscite "Going To California", "Tangerine" et "Gallows Pole".

Mais le plus surprenant se trame en coulisse, quand les lumières de la rampe sont éteintes et que le rideau est tombé. Là, à ce moment précis, Jimmy Page ôte son masque de monstre guitaristique et Robert Plant affiche un large sourire qui en dit long sur le bonheur de collaborer à nouveau avec son vieux complice. Malicieux et exprimant une immense affection mutuelle, les deux hommes n'hésitent pas à se congratuler, à s'embrasser tendrement et à blaguer : "James, on s'interview au téléphone demain matin !", lance Plant à Page, avant d'aller faire un tour à Barbès. De son côté, Jimmy va retrouver sa femme et ses deux enfants en bon père de famille. Une sincérité des sentiments trop rare chez les rock stars pour ne pas être soulignée. On est à 2000 années lumière des chamailleries entre... disons Jagger et Richards, par exemple. Trente ans après avoir fondé Led Zeppelin, Jimmy Page & Robert Plant ont exorcisé les démons d'antan pour, finalement, reprendre une dimension humaine. Une vaste tournée européenne est prévue pour la fin de l'année. En attendant, "Walking Into Clarksdale" fait figure de chef-d'oeuvre absolu et s'écoute en boucle, comme un bon vieux Led Zep. A propos, saviez-vous que Clarksdale était une ville mythique au début du siècle, berceau du blues du delta du Mississippi avant que les pionniers n'émigrent vers les grandes villes, Chicago en tête. A l'époque, dans les bouges de Clarksdale, se produisaient des légendes vivantes tel Robert Johnson. Aujourd'hui, Clarksdale est une ville fantôme où seul subsiste, ironie d'un coquin sort, un musée du blues...

par FREDERIC LECOMTE